On a volé l’hiver !

Je regarde l’écran avec ahurissement. 

Mince, c’est quoi ce délire ? 

Je compulse l’épais dossier posé à la droite de mon clavier, farfouille à la recherche des données arrivées hier après-midi par voie ministérielle. D’un coup de pouce, je rechausse mes lunettes sur mon nez, relève le menton pour corriger ma myopie naissante et fixe le graphique incohérent apparu grâce à la force mathématique de Déméter, le plus puissant calculateur au monde que toutes les nations du globe nous envient. 

Qui a enregistré les chiffres en dépit du bon sens ? 

Encore un jeune stagiaire totalement à l’ouest ou un des vieux ronchons climat-sceptiques ayant perdu le nord. À moins que Martin par excès de zèle ou d’empressement à rejoindre le sud pour ses vacances, ait inversé les données de base. 

« Professeur ? », m’interpelle la voix suave et divinement sexy de Demeter. 

— Oui ?

« Le résultat est incohérent », me signale-t-elle ce que je constate depuis trois minutes. 

— Recalcule. 

« Oui, professeur ».

Le ronronnement de la machine s’amplifie, les chiffres défilent sur l’écran extralarge au point de me rendre saoul. Je ferme les yeux, les frotte, épuisé par trois nuits blanches. Ces imbéciles du collectif « Sauvons les boules de neige » m’inondent de revendications plus farfelues les unes que les autres afin que je prouve aux autorités compétentes que la population de manchots empereur s’effondre plus vite que les autres groupes de manchots. Ils y voient un signe de la disparition de l’hiver avec l’arrêt brutal des chutes de neige dans les contrées tempérées. Par voie de conséquences, ils s’effraient que leurs enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants ne se brûlent jamais les doigts en façonnant une boule de neige ! Ni plus ni moins.