Première fois

Mes mains se couvrent de moiteur.

Depuis des heures, mon esprit bloque et s’agite en tous sens depuis qu’il m’a dit : « On y va, il est temps. Tu dois le faire ».

Je ne me sens pas prête, mais je ne veux pas qu’il imagine que je ressemble à une mauviette, que je me révèle incapable de faire ce dont nous parlons depuis des mois. Je ne peux plus reculer malgré mon angoisse montée en flèche. Mon ventre tressaille inlassablement à cause de cette première fois programmée.

J’essuie mes mains sur ma jupe courte, la poitrine oppressée dans mon top moulant en simili cuir que j’ai revêtu comme une armure. Cela me rassure, même si je m’illusionne sur son pouvoir occulte.

Ma nervosité grimpe au fur et à mesure de l’attente qu’il m’impose.

Pour moi, c’est une première. Pas pour lui.

Je ne représente qu’une parmi d’autres, mais sa réputation d’être le meilleur, le plus à l’écoute, le suprême guide d’une découverte indispensable le précède.

Toutes les filles le vénèrent, l’aiment avec dévotion ou démesure.

Comme les autres, je tombe sous son charme. Incontestablement, il possède de quoi séduire toutes les femmes du monde, même les plus difficiles. Son air de jeune premier, son visage aux traits virils, ses cheveux blonds à la Simon Baker, son regard sombre aux prunelles si noires que l’iris paraît invisible, son teint hâlé de surfer ou sa stature d’athlète que nous dévorons des yeux avec envie constituent des arguments auxquels aucune de nous ne peut résister.

Sa présence suffit pour nous mettre en émoi.

Un seul coup d’œil et nous fondons de désir.

Enfin, sa silhouette se profile dans l’embrasure de la porte. Il me sourit de loin, de ce sourire envoutant dont il semble ne pas connaitre le pouvoir. Un sourire doux et ferme que ses lèvres charnues dessinent à la perfection. Le petit vent frais éparpille ses cheveux un peu longs sur son front. Il les dégage d’un geste nonchalant devant lequel je craque. Il s’approche à grands pas d’une démarche qualifiée de féline dans les livres romantiques. C’est bien plus que ça. C’est animal, viril, sauvage, excitant au point que mon estomac se tord d’un trouble angoissé et exalté.

Le décevoir constitue une honte que je sais insurmontable.

Je déglutis péniblement, cligne des yeux pour stabiliser mon émoi et ma vision.

Désormais, je comprends l’expression «  avoir des papillons dans le ventre. En réalité, des hannetons féroces viennent d’élire domicile dans mon estomac et me rongent de l’intérieur, grignotent la plus infime parcelle de mes boyaux entremêlés.

— Bonjour, Armelle. Comment vas-tu ? Te sens-tu prête ? attaque-t-il sans préambule.

— Euh… oui.

Je bégaie, impressionnée par son aisance décontractée, par le parfum léger de son eau de toilette qui m’enveloppe sournoisement et amplifie ma déroute émotionnelle.

— On y va ?

Il hausse un sourcil clair. Son regard attentif décrypte mes signes de nervosité et il attend ma décision.

D’un geste crâne, je me redresse de toute ma taille qui ne peut rivaliser avec son mètre quatre-vingt-cinq.

Comment va-t-il faire ? me demandé-je stupidement.

Il a l’habitude, je l’oublie trop vite. Il fait ça tous les jours. Ou presque.

— Installe-toi confortablement. Je veux que tu te sentes à l’aise, que tu prennes tes aises. C’est primordial que tu t’appropries tes propres sensations. Personne ne ressent la même chose et la première fois, cela peut te sembler impressionnant, mais il n’y a rien que tu ne puisses surmonter. Je te le promets. Tu es prête pour franchir ce pas décisif.

Je hoche la tête, incapable de répondre tant ma gorge asséchée ressemble au désert de Gobi. Ma langue en devient râpeuse, lourde et pâteuse, signe de mon stress grandissant.

J’ose m’approcher, me glisser sur le siège de cuir dont la chaleur irradie le long de mes jambes peu protégées par ma jupe courte. C’est une sensation nouvelle que j’expérimente avec curiosité.

– Es-tu bien installée ? me demande-t-il, les yeux rivés sur mes cuisses. Écarte-les un peu pour être dans l’alignement de ton bassin.

Il sourit de ma petite gymnastique pour me positionner comme il me l’ordonne. Je me trémousse, rouge comme un coquelicot sous son regard attardé sur mon anatomie découverte avec indécente.

— C’est bien.

Il vérifie ma posture et se colle presque à moi.

Je perçois sa chaleur, la vibration de sa respiration qui soulève sa poitrine. Je me souviens de ses abdominaux dessinés à la perfection sous sa peau dorée couleur abricot. Le tee-shirt moule joliment ses pectoraux de surfer, dévoile ses muscles comme s’il était nu. L’image de sa nudité trouble ma vue et mon souffle haletant accélère. Je me sens minuscule à ses côtés, ignare de tout ce qu’il va m’apprendre malgré nos longs échanges. Il n’a pas fait les choses à moitié et m’a préparé psychologiquement à ce moment particulier.

— Vas-y, prends-le, m’incite-t-il d’une voix douce à me saisir de ce qui me rend si nerveuse.

J’avance la main, hésitante, l’angoisse à l’esprit.

— Fermement et des deux mains, me conseille-t-il un petit sourire au coin des lèvres.

J’ose approcher mes deux mains comme il me le recommande. Je l’effleure de mes doigts tremblants, de mes paumes moites de frayeur. Et si je ne savais pas comment faire ?

— Oui, c’est bien, souffle-t-il avec un soupir de satisfaction.

Il me laisse jauger cet objet connu dont je découvre l’enivrant pouvoir. Je n’ai jamais rien tenu de si doux et ferme à la fois. Je ressens sa résistance, sa chaleur sous mes doigts fébriles et timides. J’assure ma prise pour en tester la fermeté.

— Oui, c’est ça, comme ça. Ne serre pas trop fort et évalue bien sa réactivité, m’invite-t-il à poursuivre mon exploration.

J’ose à peine respirer ou bouger mes mains. La sensation étrange et exaltante m’accorde une nouvelle liberté sans restriction. Jamais je n’aurais imaginé que cela se passerait de cette manière simple, réjouissante, grisante. Mon souffle s’accélère dans ma poitrine comprimée par son carcan de cuir. Mon cœur bat à mes oreilles rouges.

— Parfait. Glisse dessus, de haut en bas, mesure toutes ses possibilités, murmure-t-il, les yeux fixés sur mes doigts qui s’aventurent et empoignent doucement sa circonférence.

Il s’adapte à ma main, ni trop gros, ni trop fin, à la mesure de mes désirs inavoués. J’ai eu si peur de ne pas pouvoir le tenir fermement.

— Bien, maintenant, installe-toi bien. Il faut que tu te sentes à l’aise et libre de bouger. Vas-y, continue, m’encourage-t-il à poursuivre mon exploration. Tu es parfaite. Tu vois, tu n’avais rien à craindre, rit-il gentiment.

Ses yeux débordent de fierté, de son orgueil d’avoir fait de moi cette fille qui s’aventure vers de fabuleuses découvertes.

— Maintenant, tu peux en tester les possibilités. En douceur, mais fermement surtout. Il ne doit pas t’échapper, me sourit-il d’une grimace coquine tandis que je le saisis d’une main plus assurée.

Je caresse son bout tendre, m’étonne de son velouté et de sa tiédeur.

— Parfait. Passons aux choses sérieuses. Avance ton pied droit, garde ton pied gauche un peu en arrière. Écarte plus les jambes. Hum… parfait. Tu as des dispositions. Tu le sens ? Vérifie sa souplesse. Tu dois bien ressentir sa nervosité. Plus tu l’enfonces, plus il durcit. Tu dois jouer avec, évaluer sa tension et agir en fonction de ses réponses. Tes gestes déterminent sa réactivité. Vas-y, teste.

Je me positionne et appuie délicatement, inquiète que l’effet ne soit pas à la mesure de ma demande. Je pousse, enfonce, gémis de la résistance légère, de ce cran dont tous les livres parlent.

— Plus fermement, m’ordonne-t-il avec autorité.

J’obéis et je l’enfonce d’un coup sec. J’étouffe mon cri, surprise par la décharge insolite dans ma jambe.

— Doucement, me gronde-t-il avec une sévérité adoucie par son sourire. Tu dois l’apprivoiser, le caresser pour obtenir ce que tu veux. Recommence. Doucement, là, oui, comme ça. Enfonce le bien. Tu le sens ?

— Oui.

Ma voix n’est plus qu’un souffle erratique, la douleur s’estompe, tandis que je me gave de sa fermeté, de ce petit cran particulier, de sa souplesse soudaine.

— Relâche-le lentement. Recommence. Habitue-toi à ce va-et-vient. Tu dois le ressentir jusque dans tes tripes.

J’appuie, je le relâche, l’enfonce, le libère au rythme de ses ordres explicites. Je m’enivre, excitée par la liberté qui s’offre à moi, mieux que je ne l’ai imaginé.

— Bien, stoppe-t-il mes mouvements devenus frénétiques.

Je suis en sueur, haletante, les yeux écarquillés par les sensations insolites qui m’envahissent et qu’il maitrise et transmet avec tant de passion délicate. Il rit de ma mine extatique. Ma joie se mêle à la sienne tandis que mon corps se déleste de la tension accumulée, s’amollit merveilleusement grâce à cette expérience inédite.

— Vas-y, reprends-le en main. Fermement. Très bien. Montre-moi que tu as compris.

Je répète les gestes qu’il m’a appris, m’exalte de ce pouvoir donné et dont j’abuse à nouveau. J’ai envie de crier tant c’est fort, enivrant, grisant, déroutant. Je me sens libre !

— Stop !

Il freine ma frénésie à en vouloir toujours plus, à recommencer encore et encore.

— Garde un peu d’énergie. Nous ne faisons que débuter, tu auras besoin de toutes tes forces.

Il me taquine, le sourire aux lèvres, les yeux pétillants d’amusement.

Évidemment, lui il maitrise tout ça depuis des années. Il rit de ma mine chagrine, se penche vers moi lentement. Son parfum s’invite dans mes narines frémissantes.

— Contact, murmure-t-il à mon oreille cramoisie.

Il tourne la clé de contact dans le démarreur.

Le moteur de la voiture auto-école ronronne doucement. Je sens les vibrations montées dans mon corps, s’insinuer dans toutes les fibres de mon être.

Pour la première fois de ma vie, je vais conduire une voiture !

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