Le Noël d’Espoir

Ce petit texte rappellera peut-être des souvenirs à certaines 🙂

Joyeux Noël aux petits enfants 

Hope regarde les gros flocons qui voltigent derrière la fenêtre. 

Elle soupire d’un gros soupir de bonheur. Elle aime la neige. 

Comme elle aime des gros gâteaux au chocolat de son papy. 

Elle suit des yeux les flocons si gros qu’ils ressemblent à des fées. De jolies fées que la lumière du soleil couchant habille d’or et de rose. Elle sourit, lève les yeux vers le ciel et remercie le monde magique de leur accorder ce miracle. 

Il n’a pas neigé depuis des années et ce soir, ce soir béni entre tous, la neige s’est invitée en un gros tapis épais qu’elle rêve de fouler aux pieds en criant sa joie. 

C’est un signe, elle le sait. Elle sait toujours lorsque sa maman communique avec elle.

Cette année, Noël sera une fête. Une véritable fête où tout le monde resplendira de bonheur. Les fées le lui ont dit en rêve. 

Cette année, l’année de ses huit ans, le chagrin passé va disparaitre. 

— Ce sera un beau Noël, dit-elle à Barnaby, son nounours préféré, le dernier que sa maman lui a offert avant d’aller rejoindre les anges. 

Hope recule à quatre pattes pour descendre du coffre haut adossé au mur sous la fenêtre. Elle glisse doucement, tâtonne du pied pour ne pas rencontrer Herald, le vieux chien de son papy. Il se fourre toujours sous ses pieds à la moindre occasion. 

Heureusement, ce soir, il s’est collé à la cheminée où crépite un bon feu aux grosses buches pétillantes. Les étincelles font les fusées, remontent dans l’âtre en zigzag et s’évaporent en feu follet. C’est beau un feu de cheminée la veille de Noël. 

Son papy a promis d’éteindre le feu pour que le Père Noël ne se brule pas les fesses en venant déposer les cadeaux. 

Elle rit silencieusement de cette farce à laquelle son papy croit encore ! Elle ne peut pas lui dire que ce sont les fées qui déposent les cadeaux et non pas le pauvre Père Noël débordé par tous les présents à déposer dans les chaussettes des enfants sages.

– Hope ! 

L’ombre immense de son grand-père se déploie sur le parquet de chêne en une ombre gigantesque. Comme un ours. 

— J’arrive Papy ! 

Elle se précipite, Barnaby dans les bras. Le sourire bienveillant de son papy lui réchauffe le cœur, mais elle voit aussi la tristesse qui poudroie son regard de cette buée qu’il retient toujours à chaque Noël. 

Sa maman est partie ce jour-là. 

La voiture a dérapé dans le fossé à cause de l’épaisseur de neige et du verglas. Hope se souvient du bruit terrible, de ce grondement terrifiant, de la lumière éblouissante qui a jailli à travers les arbres. 

Elle était toute petite, à peine quatre ans, mais elle se souvient de tout, des petites lumières qui ont dessiné comme un ange parmi les arbres alors que les flammes engloutissaient la voiture. 

Elle a entendu la clochette légère comme une plume qui a tinté pour appeler les fées.

Et elle a vu.

Elle n’a pas compris à l’époque, mais le spectacle était féérique, d’une beauté merveilleuse dont elle garde le souvenir intact. 

Elle sait. 

Sa maman est partie avec les fées pour en devenir une à son tour. Sa maman la protège autant que les bras qui l’entouraient lorsqu’elle était petite et triste. Tous les soirs, elle sent son souffle sur sa joue. Dommage que son papa et son papy ne sentent pas ce souffle de bonheur qu’elle ressent dans tout son être. 

— Il est l’heure ma chérie, déclare son papy d’un air plus triste que les autres jours.

Il essaye de le cacher derrière son sourire barbu de père Noël, mais elle voit dans ses yeux qu’il est triste. 

— Papa n’est pas arrivé ! 

— Écoute ma chérie. Il avait beaucoup de travail et…

Hope le regarde, attristée à son tour, Barnaby serré fort sur son cœur battant. 

— Je comprends, murmure-t-elle pour ne pas montrer sa peine. 

Elle traine les pieds sur le vieux parquet de chêne, monte l’escalier en comptant les marches comme si elles étaient les minutes qui rapprocheraient son papa de leur maison. 

Il est si souvent absent que parfois, elle imagine qu’il reste avec sa maman, qu’ils sont heureux tous les deux. Mais elle sait que le cœur de son papa est brisé à jamais, qu’il ne bat plus comme avant. Elle ne lui en veut pas. Il est si malheureux d’avoir perdu son ange. 

Elle soupire, déçue, mais la petite étincelle de bonheur qui pétille dans son cœur ne peut pas s’éteindre lorsque les fées voltigent derrière la fenêtre de sa chambre. 

Papy l’aide à mettre son pyjama aux rennes multicolores, la borde en lui racontant des blagues idiotes dont il a le secret. Elle rit à gorge déployée, le serre fort sur son cœur en lui disant « je t’aime, mon papy adoré », l’embrasse d’un gros baiser sur la joue poilue et douce. 

— Je t’aime mon petit ange, lui répond-il, des larmes dans la voix. 

C’est dur pour lui ce soir. Elle le sait. Mais, elle connait le secret et la magie de la nuit de Noël. Cette année, le bonheur sera au rendez-vous.

Elle s’endort, Barnaby serré sur son cœur, le souffle de sa maman sur sa joue, un sourire confiant aux lèvres. 

C’est Noël.

L’étrange bruit la réveille. La veilleuse dorée tourne et allume des étoiles sur le mur.

Hope se redresse, le cœur à l’arrêt, inquiète de ce grognement d’ours qu’elle ne reconnait pas. Le vieux Ben traine parfois dans le coin, mais il n’est pas méchant. Il vole dans la poubelle et papy le menace toujours d’un coup de fusil dont Ben se fout en riant. 

Herald gémit, gratte à la porte de sa chambre. 

— Qu’est-ce qu’il se passe ? se lève-t-elle à toute vitesse. 

Herald ne monte jamais à l’étage. Il est trop vieux et c’est interdit par son papy. 

Elle ouvre la porte, voit les yeux embués de tristesse du vieux chien. Elle court dans l’escalier vers ce grondement sourd. Son papy est allongé sur le tapis devant la cheminée, des cadeaux écrasés par sa chute, éparpillés autour du grand sapin décoré. 

— Papy, se précipite-t-elle vers lui. 

— Hope… murmure-t-il dans un souffle, les yeux mi-clos, la main serrée sur sa poitrine. Mes… mes… cachets… bleus.

Hope hoche la tête, terrifiée par le visage pâle de son papy. Ils croient tous qu’elle ne sait pas qu’il est malade du cœur. Ils lui cachent la vérité, mais les fées lui racontent tout. Elle file vers la salle de bains, pousse la chaise branlante contre le lavabo, y grimpe pour attraper la boite bleue dans la pharmacie. Elle court vers la cuisine, remplit un verre d’eau et se précipite dans le salon. Son papy râle, les yeux fermés, les deux mains accrochées à sa chemise. La sueur coule sur son front qu’elle essuie du revers de la manche de son pyjama. Elle glisse le cachet dans la bouche aux lèvres bleues, verse un peu d’eau, lentement. Papy tousse, avale de travers, mais le cachet est avalé. Il serre sa main et ouvre les yeux. 

— Appelle… le… docteur…

— Oui, papy, se relève-t-elle d’un bond. 

Elle court vers le téléphone de la cuisine et saute pour l’attraper. 

Pas de tonalité, constate-t-elle en le portant à son oreille. Le téléphone portable sur la table du salon est muet lui aussi. Plus de réseau. 

La neige, lui soufflent les fées. 

Hope doit faire vite, elle le sait. La vie de son papy en dépend. Et elle ne veut pas que ce Noël si merveilleux devienne un nouveau chagrin pour son papa. Elle s’agenouille près de son papy. 

— Je vais le chercher au village, Papy. Ne bouge pas. Tiens, Barnaby va te tenir compagnie, murmure-t-elle en déposant son nounours contre le cœur qui se bat pour continuer à vivre.

Elle les recouvre de la grosse couverture de laine pour qu’ils ne prennent pas froid, le temps de son départ. 

Elle essuie ses larmes du revers de sa manche de pyjama, la certitude au cœur que les fées vont l’aider. 

Vite. Vite. Vite. 

Son gros manteau rouge recouvre son pyjama, son bonnet réchauffe sa tête, ses bottes protègent du froid ses pieds nus. 

Elle hésite avant de sortir, regarde son papy allongé sur le tapis rouge. 

— Herald, surveille-le, ordonne-t-elle au chien de retourner vers son maitre. 

Il la regarde de son bon regard fauve, hoche la tête et va s’allonger contre l’homme au cœur malade. 

« Je le surveille », entend-elle la voix du chien dans sa tête. 

Elle lui sourit, certaine désormais que tout ira bien. Herald ne lui parle que lorsqu’elle a besoin de courage pour affronter les épreuves de la vie. 

Hope ouvre la porte, regarde les gros flocons qui voltigent dans l’air. Elle entend leur musique, ce petit frottement particulier, cet air de coton doux et léger. La couche de neige épaisse ne la décourage pas. Les fées volètent à ses côtés et sa maman est là, près d’elle. 

Le village n’est pas très loin, elle le sait, mais elle ne sait pas conduire la voiture. 

Arthur ! Le vieux cheval de son papy. Il ne sera pas content de sortir dans la neige, mais il est grand et fort. 

Elle court vers la grange, ouvre la porte en grand. 

« Qu’est-ce que tu veux ? » grogne Arthur d’un souffle rauque qui embue l’air de vapeurs dorées. 

— C’est Papy. Il faut aller chercher le docteur, s’approche-t-elle de l’immensité du cheval blanc. 

Blanc comme la neige. Blanc comme une licorne. 

Il remue sa grosse tête poilue, pousse du nez la vieille porte de bois pour sortir de la grande stalle. 

« Allons-y », avance-t-il d’un pas vers le billot de bois où son papy coupe du bois. 

Hope monte sur le tronc de bois, attrape la longue crinière qu’Arthur penche vers elle. Il se plie pour qu’elle se hisse sur le large dos dont elle sent immédiatement la chaleur. 

Sans attendre, ils prennent la route, s’éloignent dans le silence ouaté de la neige qui tombe inlassablement. 

— Tu sais, c’est Noël aujourd’hui, raconte-t-elle à Arthur qui grogne et avance laborieusement sur le tapis de plus en plus épais. 

Combien de temps marchent-ils à travers les arbres, montent-ils des petits chemins escarpés pour redescendre de l’autre côté de la colline ? 

Hope perd la notion du temps, bercée par la monotone marche du vieux cheval.

La fatigue l’assaille, ferme ses yeux, amollit son corps frigorifié.

« Nous sommes perdus », soupire Arthur arrêté sous un sapin immense, si grand qu’il touche le ciel de sa cime, le secoue pour écarter les flocons de neige. 

Hope se laisse glisser au sol, épuisée par la longue marche. Mais l’espoir ne quitte pas son cœur. Ce soir, elle va revoir sa maman. Arthur s’allonge sur le sol enneigé, fourbu de tant d’efforts. 

« Viens », lui conseille-t-il de venir s’abriter entre ses jambes qu’il resserre autour d’elle comme les bras de sa maman. 

Il est chaud, doux même s’il sent l’écurie, le crottin et le vieux cheval. 

« Je suis là, ma chérie », murmure la voix de sa maman avant qu’elle ne s’endorme. 

Les fées chantent autour d’elle. La plus jolie chanson de la terre. La chanson d’un cœur qui bat d’un espoir que rien ne pourra éteindre.  

– Hope ! Hope !

La voix résonne dans le bois d’un cri de désespoir. 

– Hope ! Hope !

Arthur bouge contre la petite fille endormie, se redresse d’un soupir de vieux cheval magique. Il secoue la neige qui les recouvre et les a protégés du froid comme une coque hermétique. 

« Hope », murmure-t-il à oreille de celle qui dort, un sourire de fée aux lèvres. 

– Hope ! Hope !

La voix se rapproche, épuisée d’avoir crié toute la nuit, désespérée d’avoir perdu son bien le plus précieux. 

L’homme se dresse à l’orée de la petite clairière, découvre fasciner la motte de neige qui bouge, se transforme peu à peu en cheval. Il voit la tache rouge entre les jambes repliées. 

Son cœur s’arrête avant d’exploser de joie lorsque la tache bouge, que le bonnet dodeline doucement. 

– Hope ! hurle-t-il d’un tonnerre de bonheur. 

Son chagrin passé se fracasse contre la vague d’amour si fort qu’il pourrait soulever la terre entière pour cette petite fille qui se frotte les yeux, le regarde de ce magnifique regard d’amour, lui sourit de tous ses espoirs d’enfant. 

Il a oublié la beauté de cet amour qu’elle lui porte. Il a oublié de vivre pour elle parce qu’une autre a disparu. 

La perdre est le pire châtiment que le ciel lui a jeté pour le punir. Il a maudit ce dieu cruel pendant ses heures de recherches, a souhaité mourir de froid pour les retrouver toutes les deux. Mais une seconde chance lui tend les bras, lui sourit, le comble d’un bonheur qu’il sait magique. 

Il se précipite, la serre dans ses bras, pleure dans le cou de son enfant retrouvée. 

Plus jamais le chagrin ne l’éloignera d’elle. 

« Je vous aime. Vous êtes mes amours. Je suis là, près de vous. Je ne vous quitterais jamais », entend-il distinctement la voix de sa chère disparue dans un souffle de vent. 

Le rire de Hope répond à l’allégresse de son cœur. Leurs larmes se mêlent, leurs rires s’entremêlent et explosent de bonheur.

Hope serre son papa de toutes ses forces contre elle. 

Elle sait. Noël est un jour magique et rien ne peut le ternir. Rien. 

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