La rencontre du bonheur

Un petit texte à lire avant ou après : une autre vision du bonheur dans la même catégorie « petits textes courts »

Ecrit dans le cadre d’un défi dont le thème était : parler à la place d’un animal.

Celui ci fait partie de ma vie depuis de très nombreuses années. Il y occupe une place prépondérante, envahissante, troublante, réjouissante mais aussi douloureuse.

La rencontre du bonheur

Je déteste cet endroit !

Je scrute le moindre recoin de cette boite pour trouver la faille et m’échapper au plus vite.

Je hais cette vie !

Un mois que je suis enfermée comme une bête sauvage. Je ne suis pas sauvage !

J’ai simplement du caractère et des envies de liberté qu’il n’admet pas.

Je le déteste !

Et je ne me prive pas de le lui prouver à chaque fois qu’il tente de m’apprivoiser.

Il n’y comprend rien en psychologie. Il arrive avec ses grosses bottes de lourdaud, discourt interminablement sur la docilité que je dois montrer à son égard.

Et puis quoi encore ?

Il n’est pas mon maitre et ne le sera jamais. Je possède mon libre arbitre et me charge de le lui rappeler à la moindre occasion.

Je souris de la morsure dont il gardera la trace au bras pendant quelques semaines.

Que croyait-il aussi ? Que de me bâillonner avec ce truc immonde m’empêchera de m’exprimer ? Je suis libre de choisir, de me soumettre à lui ou non.

Pour l’instant, nous demeurons dans une phase d’observation. Après maintes rebuffades de ma part, il a compris que l’affaire n’est pas dans le sac, qu’il va devoir changer son fusil d’épaule et que de soumise, je deviens la dominante. À notre dernière confrontation, il a mesuré ma détermination à ne jamais céder. Je l’ai coincé contre le mur et lui ai expliqué les règles de bases à respecter en ma présence.

Interdiction de me toucher ou de m’empoigner.

Interdiction de m’imposer un carcan que je refuse.

Interdiction de me forcer à ce que je ne désire pas.

Il peut m’affamer s’il le veut, me battre comme plâtre, m’estropier, m’entraver, je ne reculerais pas. Il doit admettre que nous sommes à égalité et que je ne dépendrais jamais de lui.

Jamais ! Plutôt mourir !

Peut-être a-t-il compris. Il ne m’approche plus bardé d’instrument de torture, mais avec des douceurs auxquelles je ne cède pas.

Je ne suis pas née de la dernière pluie. L’instinct séculaire de notre race nous rend supérieurs à tous ceux qui nous imaginent en simples proies ou esclaves. Le temps de l’esclavage est révolu. Désormais, nous acceptons de nous soumettre et de leur faire partager l’enivrant pouvoir de communiquer avec nous, de communier dans une parfaite harmonie dont ils sortent chamboulés. Seuls ceux qui admettent que la conscience humaine représente une infime poussière de l’univers appréhendent ce que nous sommes. Les plus bêtes ne sont pas ceux que l’on pense.

La porte grince de son coulissement lent. Je me prépare à une nouvelle bataille ou des câlineries auxquelles je résisterai jusqu’à ma mort.

La délicate main blanche écarte le lourd battant de bois et d’acier, ouvre l’espace de ma prison. Je pourrais me précipiter, bousculer ce petit être de rien qui entre à pas prudents. Une fillette si menue que d’une chiquenaude je la repousserais et retrouverais ma liberté.

J’hésite une courte seconde. Une indécision dont elle profite pour refermer la porte d’un geste de fébrilité qui m’en dit long sur sa présence.

Je perçois sa peur, ce frémissement reconnaissable qu’ils ont tous face à ma force et ma puissance.

Je me campe sur mes jambes, bombe le poitrail, mes muscles bandés sous ma robe de jais.

Elle me contemple d’un regard ébloui, émerveillé où je sens vibrer la subite adoration. Une fraction de seconde et nos esprits communiquent en silence. Je vois son émoi, la tension de son corps face au danger que je suis pour une fillette de sa trempe.

J’aspire l’air lentement, l’évacue d’une respiration contrôlée.

Elle ne dit rien, attend que je l’autorise à m’approcher. Elle me regarde d’une mine dévote, me contemple comme si j’étais une reine.

Dans mon pays, je l’étais. La plus belle de toute, la plus impérieuse, celle que tous désiraient posséder.

Je n’appartiens à personne. Aucun ne me dominera. Homme ou animaux, moi seule choisirais à qui je concéderai mon amitié et ma confiance.

Le souffle de mon invitée s’alourdit, s’extasie, s’apeure.

Je ne bouge pas. Je prends le temps de l’observer, d’évaluer son potentiel.

Énorme. Je le sens. Elle a cette empathie particulière des êtres d’exceptions, ceux capables de s’oublier pour accorder la liberté à d’autres. Elle se montre magnifique de délicatesse. Ses longs cheveux blonds tombent sur ses épaules menues que je pourrais briser d’un seul coup de dents. Son visage reflète son inquiétude d’être surprise ici, à mes côtés par celui qui se dit être mon maitre.

Le lien entre nous est invisible, mais tangible. Elle me comprend.

J’imagine ses mains sur ma robe de jais, les attentions dont elle me gâtera au fil des jours, l’amour qu’elle me voue déjà d’un seul regard. C’est palpable au point que le frisson parcourt ma peau fine, rebrousse mes poils soyeux. Jamais, je n’ai senti cette communion parfaite, cette certitude que jamais elle ne me fera de mal, ni me ne contraindra. Nous nous disputerons de toute évidence, mais ce ne seront que de simples chamailleries pour mieux nous retrouver et nous apprécier plus fort.

J’approche d’un pas. Son souffle se tend dans sa poitrine menue, son corps se fige d’une peur mêlée d’allégresse. Je vois tout dans son regard. Tout ce qu’elle imagine pour nous. Tout ce qui nous portera si loin que personne ne pourra jamais nous atteindre ou nous séparer.

Un autre pas et elle libère sa respiration et son angoisse, m’accueille d’un large sourire ému, les yeux embués de ses larmes retenues.

Elle sait le don que je lui fais.

Elle sait le cadeau qu’elle me fait.

Elle sait que notre existence est désormais liée à jamais.

Sa main hésite une courte seconde avant de se poser sur mon chanfrein. Ses doigts frémissent d’émotion, se chargent de ma chaleur pour leur redonner vie. Je penche la tête, m’installe sur son épaule pour la sentir, la ressentir, la respirer comme si elle devenait mon dernier souffle.

Je ferme les yeux, m’abandonne à ce moment de suprême communion.

La porte coulisse de son bruit particulier. D’instinct, je me précipite entre elle et lui. Pour la protéger de la colère de celui qui nous fixe, les sourcils froncés, le regard empreint de… soulagement ?

– Que fais-tu là ? lui demande-t-il d’une voix vibrante d’allégresse.

Je trépigne d’un pas, prête à me jeter sur lui, le déchirer des dents, le rudoyer de coups jusqu’à ce qu’il disparaisse de notre vie.

Elle ne bouge pas, me contemple, la main sur mon poitrail pour calmer ma fureur.

Il sourit, nous observe et hoche la tête.

— Je savais que tu l’apprivoiserais. Ce sera notre meilleure bête. Prends soin d’elle. Elle est à toi.

— Non, elle n’est à personne, répond-elle d’une voix charmeuse, chargée de son émotion.

Elle me fixe dans les yeux, me sourit avec confiance.

Je ne suis à personne. Je suis un vent de liberté.

Une liberté que je lui accorde sans restriction.

Nous sommes deux, nous serons une à l’avenir. Ensemble, nous vivrons les plus belles des aventures. La confiance innée, indestructible entre deux êtres de deux mondes différents. Et pourtant…

Un vent de liberté souffle sur nos cœurs.

Un bonheur inexprimable.

 

3 commentaires sur “La rencontre du bonheur

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  1. J’ai visité à Pradelle un drôle de musée, celui du cheval, vivant !
    Et un postier breton( le cheval) est venu du fond de sa stalle, tout près de moi et a posé sa grande tête sur mon épaule.
    E lisant ton texte,Romane, les images de cette rencontre m’ont donné la larme à l’œil. que d’émotion !

    Aimé par 1 personne

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