Mains gagnantes

Toujours dans le cas de challenge d’écriture coquin, voici un autre petit texte à ne pas mettre entre toutes les mains ;). Pour les passionnés de carte, j’espère que vous prendrez plaisir à savourer cette partie 😉 

Interdit au moins de 18 ans

 

Mes doigts tapotent d’impatience sur le bord laqué de la table de jeu. Mon regard erre sur les alentours sans véritablement voir le public autour de moi. Une foule select, triée sur le volet et surveillée de près par les gardes disséminés çà et là.

Un sourire effleure mes lèvres.

Il y a ici de quoi rembourser la dette du pays rubis sur l’ongle.

Aucune démesure n’est choquante tant elles sont légion dans cet antre du jeu privé. Un secret gardé, étouffé par les autorités. Elles seraient malvenues de s’élever contre cet interdit.

N’y sont-elles pas présentes ?

Je repère du coin de l’œil un ministre en poste, deux secrétaires d’État et même un ponte du service des finances.

Mais, ce n’est pas cette promiscuité qui m’attire ici.

Pas plus que le démon du jeu auquel je succombe parfois ; plus pour sentir l’adrénaline bruler mes veines que par réelle passion. J’aime la jouissance qu’apporte une main gagnante, la tension de tout l’être, les battements assourdissants du cœur et cette démesure diabolique de se sentir tout puissant avant que les cartes ne s’abattent et vous emportent dans un tourbillon triomphal ou une chute brutale. Une dévastation dont je tremble dans un sens ou dans l’autre.

Cependant, depuis trois semaines, ce ne sont pas les cartes qui m’appellent ici.

C’est elle.

Le léger mouvement à ma gauche m’avertit de son arrivée. Je ne tourne pas la tête pour la dévorer des yeux. Je joue nonchalamment avec mes jetons, les empile comme si sa présence ne revêtait pour moi aucune importance. Tout le contraire de la réalité.

— Bonsoir, me salue-t-elle de cette voix sourde étouffée, impersonnelle qu’elle adopte avec chacun d’entre nous.

J’ai réservé la table, ce soir. Tout se jouera entre elle et moi.

Je me contente d’un signe de tête, feins l’indifférence, voire même la lassitude du débauché pour qui la moindre seconde de vie s’avère d’un ennui mortel.

Elle s’installe sur le siège haut, se trémousse d’une ondulation des hanches que je me refuse à admirer. Je sais trop quel effet cela provoque. Des réactions indésirables aux manifestations visibles que je cache sous la table autant que possible lorsque la pression devient ce volcan indomptable que je ne peux réfréner. Une irruption de désir inassouvi que j’aimerais tenir à carreau.

— Table fermée, lui glisse à l’oreille le garde qui l’accompagne toujours.

Je le déteste, ce mec. Non seulement il possède une carrure d’athlète à damner les saintes du paradis, mais il présente ce petit quelque chose de protecteur vis-à-vis d’elle qui me fait penser que leur relation tire vers des sphères privées. La manière dont son regard ne me quitte pas depuis la semaine dernière est explicite. Je déteste imaginer qu’il s’apparente à son valet de cœur, son amant.

Nous sommes deux mâles en compétition pour obtenir les faveurs de notre dame de cœur. J’ignore ce Lahire avec dédain. Et envie.

Elle seule requiert mon attention. Qu’elle soit de pique et incarne la sagesse ou la mort, peu m’importe. Elle demeure ma dame de cœur.

Un sourire effleure ses lèvres carminées, remonte le long de sa joue jusqu’à ce petit pli de la paupière pour y pétiller. Elle me jette un regard où je sens l’intérêt commercial. Comme le masque qu’elle plaque sur sa bouche en cœur. Des lèvres auxquelles j’aimerais faire subir tous les outrages, tous les baisers, toutes les enivrantes expériences d’un strip-poker où le bluff enrichira la mise.

L’image de sa bouche entrouverte sur un cri de jouissance s’imprime dans mon cerveau.

Je m’écarte de ses lèvres, glisse sur son cou à la peau d’une blancheur de nacre étonnamment sensuelle. La veine bat lentement, frissonne sous mon regard insistant, ondule d’une vague plus forte.

Je relève les yeux pour les planter dans les siens. De larges prunelles du vert tendre d’un trèfle, parfois abritées derrière de fines paupières diaphanes rehaussées par un maquillage discret d’ombres et de lumières.

J’aime la petite ride entre ses sourcils, cette manière qu’elle a de me fixer pour m’inciter à ne plus m’égarer sur son corps voluptueux. Elle perçoit mon intérêt pour elle, mon désir profond de l’honorer comme il se doit, de la posséder, de lui arracher le plaisir suprême d’une main aux atouts gagnants.

Nul mot n’est nécessaire entre nous. Nous pressentons que nous y succomberons.

La partie ne fait que commencer.

Ses mains volent sur les paquets de cartes qu’elle insère dans le sabot. Des doigts divinement agiles sur les cartons qu’elle mélange avec ce zeste d’impertinence dont je frétille.

Que provoqueront ses mains sur moi ?

La pression monte dans mes veines, autant que dans mon pantalon. Ce soir, je ne vais pas réfréner le désir qui m’envahit depuis trois semaines. Ce soir, je vais jouir, ici, en sa présence, à la vue de tous par la simple suggestion de ses gestes, de ses mots, de tous les signaux de son corps.

Mon regard ne la quitte pas. Je sens sa tension infime.

Un sourire s’invite sur mes lèvres. Elle sait.

— Pouvons-nous commencer ? me demande-t-elle, les yeux embrumés par l’enjeu de notre partie.

— Commençons, dis-je d’un ton où je distille toute mon envie d’elle.

Elle tressaille imperceptiblement. Je souris, une sensation de puissance à l’esprit. Je me sens comme le roi David devant Goliath, le cœur empli de ma Bethsabée.

Elle tire les cartes, les dépose sur le tapis devant moi avec ce geste de tout le corps dont je suis tombé amoureux à la première seconde. Le chemisier près du corps ne cache pas la sensualité de ses courbes. La dentelle de son soutien-gorge s’y imprime délicatement autant que les pointes de ses seins dont le galbe arrondi est une merveille de beauté.

J’imagine dans la seconde leur douceur dans mes paumes, leur perfection moelleuse et ferme, la réactivité de ces boutons raidis, leur dureté sous ma langue aventureuse, avide de dégustations, d’exploration jouissive.

Elle attend mon bon vouloir, comme Rachel guetta son amour pendant sept ans. Elle me fixe d’un regard qu’elle tente de garder professionnel. J’y vois pourtant la flamme de la frayeur, cette lueur particulière de peur de l’inconnu ou de ce désir de souhaiter dire « oui » tout en pensant « non ».

Je ne la quitte pas des yeux, avance mes jetons sur le tapis sans même examiner mes cartes.

Peu m’importe la main qu’elle m’a servie. Seules les siennes et les miennes liées par la passion présentent de l’intérêt ce soir.

J’imagine la douceur de sa peau, la finesse de ses frissons lorsque je la découvrirais lentement, pas à pas. Elle se raidit imperceptiblement sur son siège haut, se fige un instant à la pensée de nos ébats. J’ai la certitude que nous partageons les mêmes images.

Elle serre les cuisses, je le pressens.

Quel bonheur ce sera de m’y aventurer, de savourer son sexe humide d’attente, de sentir les tremblements provoqués par mes doigts explorateurs et dévots. J’y mettrais de la lenteur, de la langueur pour la porter sur des vagues du plaisir en flux et reflux. Je me transformerai en conquérant tel César devenant son Alexandre le Grand et la mènerai sur le chemin de nos fantasmes victorieux. La bruler de ma passion m’enivre autant que son parfum discret diffusé par sa peau en émoi.

— Cartes ? me demande-t-elle.

Sa voix frémit d’une hésitation, de l’envie de se laisser porter par notre aventure.

— J’ai tout ce qu’il me faut, dis-je sans tenir compte du raidissement de son garde du corps.

Il ne peut rien ce soir. Le jeu est entre elle et moi.

Elle hoche de la tête imperceptiblement, retourne les cartes de la banque. Je souris à la vue de la dame de cœur et du pauvre 7 qui ne menace pas mes desseins.

J’abats mes propres cartes, sans y jeter un coup d’œil. Elle se trouble. Une infime rougeur se diffuse sur sa peau de nacre.

— 21, annonce-t-elle mon score.

Je remporte la main. Ma certitude se déploie. Ce soir, je serais le gagnant.

Elle pousse les jetons vers moi et récupère mon jeu d’un coup de pelle.

La manière dont elle serre le manche de bois, le caresse d’un doigt léger en me regardant me propulse instantanément dans un film érotique.

J’imagine ses mains sur ma verge, leur douceur vagabonde, leur dextérité à tirer la quintessence de mon plaisir avec cette agilité qu’elle a à manier les cartes. Mon pantalon se tend de ma réaction fébrile. Douloureusement provocante.

Elle perçoit mon excitation, s’en émeut.

Une nouvelle fois, elle tire les cartes, les pousse sur le tapis avec une lenteur étudiée, les yeux rivés sur les miens.

Le tapis deviendrait-il pour elle ma poitrine, mon ventre ?

Je souris, effleure le bout de ses doigts à l’extrême limite de sa glissade.

Le petit frisson pétille sur sa peau. La veine de son cou palpite de battements plus vifs.

Je dispose les jetons sur le tapis d’une même caresse langoureuse, similaire, voluptueuse.

Je l’imagine assise là, toute proche du bord de la table, les talons de ses escarpins coincés dans la rambarde de cuivre, les cuisses ouvertes, le sexe suintant d’excitation et offert à ma vue.

La bouffée de chaleur me scie les reins, dégringole en flux électrique le long de ma verge tendue par tout ce que j’espère.

Elle ondule d’un roulement de hanches sur son siège haut et retourne une carte d’un geste languide, sensuel. Le bout de sa langue effleure ses lèvres comme j’aimerais qu’elle taquine mon gland, qu’elle s’y attarde, le gobe, le tète, l’enfourne au plus profond de sa bouche tiède et accueillante.

La tension monte entre nous, perceptible pour tout observateur attentif.

J’imagine l’humidité de son sexe, ses lèvres gonflées d’attente, le bourgeon de son clitoris gorgé du sang qui pulse le long de son cou. D’un va-et-vient explicite, j’imprime à mes hanches le mouvement lent d’une exploration de son intimité.

Elle retient son souffle, tente d’en dompter l’accélération.

Je retourne une carte du même geste sensuel qu’elle y a mis l’instant précédent.

Elle me fixe, le regard brouillé d’images dont je présume être le héros. Mon sourire s’étire à peine de mon triomphe. Je ne veux pas l’effrayer. La partie se joue à coups d’atouts et d’espérances.

Nouvelle carte posée. Un valet de pique.

J’aimerais devenir le dard de son plaisir, la piqueter de baisers gourmands, m’enfoncer en elle comme l’épée du chevalier Hector pourfendait les ennemis de l’Ordre. Son doigt s’attarde sur la figure qu’elle caresse. Je sens le pétillement sur ma joue, lien tenu que nous partageons dans le silence et l’imagination.

Débordante mon imagination. Douloureuse au point de m’envahir de sensations fortes et incontrôlables.

D’une respiration profonde, je découvre une seconde carte. Valet de trèfle.

Elle frémit, les yeux fixés sur la figure. Je deviens son Lancelot, cet amant maudit, ce voleur de reine. Un rôle que je suis prêt à endosser dans la seconde.

Un autre carton est dévoilé. Le six pour elle, le neuf pour moi. Le jeu parle pour nous et exprime nos désirs intimes.

Cette fois, l’imagination n’a plus lieu d’être. Nos regards se happent, nos corps se tendent, nos ambitions flamboient à la même seconde. De mouvements légers, imperceptibles, nous partageons l’instant intense d’un plaisir secret.

Elle réfrène son gémissement, les yeux rivés sur moi. Je ne cache pas mon propre soupir de lente jouissance.

— Banque, dit-elle d’une voix éraillée par la retenue de son souffle entre ses lèvres entrouvertes.

— Un partout, dis-je avec la conviction que notre partie n’est qu’à ses débuts.

Elle hoche de la tête. Une légère rougeur empourpre la nacre de son cou, dessine sa gorge palpitante.

— Ce sera tout pour ce soir, dis-je en abandonnant les jetons sur le tapis vert.

Vert de l’espérance de la revoir. Demain et tous les jours qui suivront.

J’emporte avec moi les images de ses yeux brulants de désir, de ses lèvres impatientes de découvrir de charmants horizons.

— Merci, monsieur, me salue-t-elle cérémonieusement, avant qu’un sourire coquin ne teinte sa bouche de promesses enivrantes.

— Je suis à l’hôtel. Chambre 312. Mettez mes gains sur mon compte.

— Oui, monsieur, penche-t-elle de la tête sur l’épaule, le regard planté droit sur moi.

Banco.

Un nouveau jeu débute. Et toutes les cartes ne sont pas tirées.

***

En complément :

 

Valets

Dames

Rois

Coeur

Lahire
compagnon d’armes
de Jeanne d’Arc
Judith
personnage biblique
Charles
Charlemagne
ou Charles VII

Carreau

Hector
héros de la
guerre de Troie

Rachel
personnage biblique

César
Jules César

Pique

Ogier (ou Hogier)
l’un des preux
de Charlemagne

Pallas
Pallas Athéna

David
héros biblique

Trèfle Lancelot
Lancelot du Lac
Argine
anagramme de regina (« reine » en Italien)

Alexandre
Alexandre le Grand

5 commentaires sur “Mains gagnantes

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  1. Savoureux ! N’y-a-t’il pas là une allusion à la partie d’échecs jouée entre Steve McQueen et Faye Duneway dans « L’affaire Thomas Crown » ? Je n’en ferais peut-être pas le pari, mais…

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